Surveillance du salarié en télétravail par l’entreprise : la CNIL alerte

L’essor du télétravail en entreprise permet aux salariés une plus grande flexibilité dans l’organisation de leur travail. Cependant, dans son rapport annuel 2021, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) rapporte une hausse des cas de surveillance du salarié par l’employeur et souligne que certains dispositifs de contrôle des salariés travaillant à distance sont excessifs.
Durant la crise sanitaire, le télétravail s’est modernisé de sorte qu’il s’est largement répandu dans les entreprises. Certains employeurs ont mis en place des dispositifs de contrôle pour surveiller leurs salariés en télétravail mais certaines mesures sont jugées excessives par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Dans son rapport annuel publié le 11 mai 2022, la CNIL dresse le bilan de l’année 2021 et présente les enjeux de 2022. Parmi ceux-ci, la surveillance des moyens de contrôle que les employeurs mettent en place pour leurs salariés en télétravail et la lutte contre les potentiels abus.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) relève que plus d’un salarié sur cinq a télétravaillé en 2021. Cette nouvelle manière de travailler s’est accompagnée d’une hausse des abus de contrôles par les employeurs. La surveillance au travail est ainsi devenue l’un des principaux motifs de plainte auprès de la CNIL.

Dans son rapport annuel, la CNIL mentionne que pour l’année 2021, plus de 83 % des plaintes reçues sur la surveillance des salariés concerne des dispositifs de vidéosurveillance au travail.

La hausse des cas d’abus de contrôle s’explique par la multitude de moyens dont dispose l’employeur pour surveiller l’activité de son salarié :
De plus, certains employeurs obligent leur salarié à utiliser leur caméra durant l’intégralité de leur journée de travail. Cette pratique est illégale puisque la surveillance permanente d’un salarié n’intervient que dans des cas exceptionnels dûment justifiés au regard de la nature de la tâche. Tous les dispositifs de surveillance constante comme l’obligation d’activer sa caméra ou son micro tout au long de son temps de travail, le partage permanent de l’écran ou les outils enregistreurs de frappe au clavier ne sont pas autorisés.

Par ailleurs, dans son questions-réponses sur le télétravail, la CNIL rappelle que lorsqu’il n’est pas possible de flouter l’arrière-plan, l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il active sa caméra en permanence à l’occasion d’une réunion en visioconférence sauf dans des cas particuliers comme un entretien RH ou une rencontre avec des clients extérieurs.
La CNIL a observé que les plaintes relatives à ce type d’abus concernent des entreprises de taille réduite n’ayant pas de service juridique ou de délégué à la protection des données (DPO).
L’employeur souhaitant surveiller l’activité de son salarié doit utiliser des moyens proportionnés et ne portant pas une atteinte excessive au respect des droits et libertés du salarié, notamment le droit à la vie privée.
De plus, l’employeur doit informer le salarié sur les moyens qu’il utilise pour collecter des informations sur lui.

Si cela n’est pas le cas, le salarié peut saisir l’inspection du Travail ou adresser une réclamation à la CNIL qui pourra mettre en demeure ou sanctionner l’employeur.
Ainsi, la CNIL veille aussi à l’information des professionnels quant à leurs droits et obligations.

Télétravail, freelancing… les entreprises peuvent-elles toujours contrôler le rythme de travail

En 2020, après vingt ans de vie parisienne, David Bernard, le patron d’AssessFirst, a fermé ses locaux de la rue du Sentier : «Avec nos 55 salariés, nous avions choisi le full remote peu avant le premier confinement, explique le dirigeant de cette société spécialisée dans le recrutement prédictif. Petit à petit, chaque équipe a créé ses routines.» Et chaque salarié, taillé son chemin de digital nomad. La moitié a quitté Paris, certains pour la province, d’autres pour l’Europe du Nord, le Royaume-Uni, le Maroc, voire les Etats-Unis…
David Bernard, lui, a posé ses valises à Palma de Majorque, aux Baléares, après des escales en Toscane et à Ibiza. Le travail en asynchrone ne semble pas poser de difficultés : les salariés installés aux Etats-Unis ont un planning de livraison qui leur permet de s’organiser. Et, en matière d’objectifs, chaque collaborateur doit pouvoir annoncer trois éléments sur lesquels on lui demandera un progrès dans le mois ou le trimestre. L’entreprise a perdu trois personnes dans cette nouvelle organisation, mais a presque doublé d’effectif depuis.

Si les salariés travaillent d’où ils le souhaitent, le rythme de travail sur une journée n’a, selon le patron, pas beaucoup évolué : «On fait régulièrement des enquêtes et on remarque que certains sont restés dans le même mode d’organisation, avec des horaires fixes, explique-t-il. On les pousse à ne pas hésiter à faire du vélo s’ils en ont envie ou à aller chez le dentiste en heure creuse s’ils en ont besoin. Mais, regrette-t-il, on a été conditionnés par l’ère industrielle.»
Si le full remote ne concerne que quelques sociétés, le travail hybride, mélange de présentiel et de télétravail, est devenu le «nouveau normal» : 69% des entreprises ont conservé des habitudes de travail à distance après la crise sanitaire, selon une enquête d’OpinionWay pour Slack, réalisée en novembre dernier. Un tiers ont maintenu le télétravail sur le même rythme, voire l’ont augmenté. Si certains managers mettent la pression pour reprendre le contrôle en présentiel, le retour en arrière n’est pas une option pour les directions.

«Le marché de l’emploi est très tendu et les employeurs ont compris que la souplesse sur le temps de travail sert leur attractivité, indique Marlène Ribeiro, directrice exécutive de Michael Page Consulting. Les candidats en font un critère de choix, et poser la question du télétravail dès l’entretien d’embauche n’est plus tabou.»

Désormais, près de 40% de salariés télétravaillent. Et beaucoup manœuvrent avec des horaires atypiques. Comme Tristan, project manager à Paris, dans une multinationale de l’agro-alimentaire. «Une petite partie de l’équipe est en France, mais la majorité, dont ma boss, sur la côte Est des Etats-Unis, explique-t-il. Je cale mes horaires sur les siens : matinée tranquille, mais travail jusqu’à 22 ou 23 heures, au moins pour checker les mails. D’autres Français, notamment parents de jeunes enfants ont demandé des horaires plus classiques et travaillent en asynchrone avec les Etats-Unis. Je ne me plains pas, je peux avoir une vie sociale le soir sans le payer le lendemain matin !»

Les freelances, eux, ont abandonné depuis longtemps toute référence à des horaires classiques : «En ce moment, je bosse tous les week-ends, explique Lucas, web designer en région parisienne. Je sais que je suis la variable d’ajustement en matière de respect d’un calendrier pour mes clients, mais c’est aussi comme ça que je les fidélise. J’ai des rythmes de boulot qui passent du simple au triple dans l’année. En fin d’année, les budgets seront plus serrés, donc les commandes moins fréquentes.» Lucas n’a pas toujours été indépendant, il a profité d’un plan de départ de son ancienne entreprise. Il reconnaît que le changement d’habitudes a été dur. «Mais, aujourd’hui, je suis plus détendu. J’ai une autre conception des vacances : dès que j’en ai envie, je pars travailler face à la mer !»

Le nouveau monde du travail tertiaire n’est toutefois pas ensoleillé partout de la même façon. Au sortir de la crise sanitaire, la multiplicité des situations de travail et un leadership trop flou ou trop autoritaire cassent parfois l’ambiance. En revenant au bureau après des mois de full remote, Hugues, quadragénaire associé dans une agence de relations publiques parisienne, était plutôt optimiste : «On avait bien fonctionné à distance et il nous semblait que conserver un ou deux jours de télétravail nous permettrait plus de souplesse.»

En réalité, c’est plutôt une logique de surveillance renforcée qui s’est installée pour les travailleurs à distance. Une réunion Teams tôt le matin, une autre tard le soir et entre les deux de multiples coups de fils individuels. «Avoir ses collaborateurs à distance génère des angoisses incontrôlables chez mon boss, explique Hugues. Dans une boîte de huit personnes qui facture essentiellement du temps à ses clients, c’est inconfortable. Moi-même, il m’arrive d’appeler un de mes collaborateurs pour lui demander ce qu’il fabrique, ce qu’il a produit. Et il faut reconnaître que sans le contrôle social des collègues en présentiel, certains semblent beaucoup moins engagés que d’autres. On n’a pas réfléchi à de nouveaux indicateurs d’activité. On s’était cru mature ? Pas du tout !»

Ailleurs, c’est la technologie qui prend le relais avec un fort accent de Big Brother : l’avocat Eric Rocheblave a eu affaire depuis le confinement à plusieurs salariés clients qui «doivent faire coucou à la caméra toutes les cinq minutes». Les mouchards électroniques nourrissaient déjà un copieux contentieux, mais leur usage s’est multiplié. Hubstaff, ActivTrak, Teramind, DeskTime : tous surveillent les outils de collaboration, les emails, les navigations Internet… En novembre 2020, une étude réalisée par la plateforme logicielle GetApp révélait que 45% des employés travaillaient dans une entreprise utilisant l’un de ces programmes, dont 20% depuis la crise sanitaire.

«Le lien de subordination permet à l’employeur d’encadrer et de contrôler l’exécution du travail, explique Me Rocheblave. Mais les dispositifs utilisés doivent être proportionnés aux objectifs poursuivis, respecter la vie privée, et l’employeur doit en informer les salariés.» La Commission nationale de l’informatique et des libertés a d’ailleurs rappelé que certains d’entre eux – comme le «keylogger», qui enregistre toutes les actions réalisées sur un ordinateur avec un horodatage, ou la surveillance par caméra Web – sortaient du champ autorisé. Côté patronal, on invoque plutôt la nécessité de mesurer la charge de travail. Un autre gros souci à venir d’après cet avocat, qui attend de nombreux contentieux sur le dépassement des horaires et les rappels d’heures supplémentaires.

De fait, les journées travaillées hors de l’entreprise sont souvent passées à la taille XXL. «Maintenant, me mettre au boulot à 7 h 30 me paraît normal, indique Sonia, cadre au service RH d’un groupe industriel du CAC40. Je commence à traiter mes mails en petit-déjeunant. Il n’y a plus cette frontière entre la maison et le boulot, matérialisée par le trajet domicile-travail.»

Chaque semaine, elle a un court échange sur sa charge de travail avec son manager, plutôt compréhensif : «Si je suis crevée un jour et que je prends plusieurs heures pour faire autre chose, il n’y a pas de problème», assure-t-elle, tout en reconnaissant que le manque d’effectifs empêche une vraie régulation.
Sur la ligne d’écoute et de soutien d’ICAS, société spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux, les appels ont plus que doublé depuis le premier confinement et concernent en particulier le sentiment d’intensification des tâches. «Le travail réalisé à distance ou en asynchrone est moins observable par les collègues ou les managers que sur site, analyse Mathieu Wilkens, psychologue du travail et responsable du soutien psychologique d’ICAS. Beaucoup d’employés compensent en se montrant très réactifs et en travaillant tard le soir.»
Quant aux managers, il leur faut à la fois organiser des temps collectifs et suivre individuellement leurs équipiers. Chantal, employée dans une administration locale, reconnaît qu’elle plaint le sien : «On nous a autorisés à travailler sur une plage horaire de journée très large, ce qui permet notamment d’aller chercher des enfants à l’école, voire de faire des courses ou un jogging. Et les managers ont la consigne de nous apporter du soutien. Résultat, leur journée commence à la première heure de travail de l’un d’entre nous et se termine avec la dernière d’un autre.»

Comment les entreprises tentent-elles d’organiser ce chaos temporel ? D’abord en formant leurs salariés : Grégory Gallic, manager de la gamme efficacité professionnelle de Cegos, leader de la formation professionnelle en France, constate une «croissance de 20%, entre 2019 et 2021, des programmes consacrés à la gestion du temps, sur des volumes déjà historiquement importants».
Sur le plus long terme, les employeurs vont faire face à plusieurs défis : convaincre leurs troupes qu’il est important de repasser au bureau ; refonder l’évaluation de la performance pour permettre une plus forte autonomie des salariés ; recréer des relations informelles pour conserver une capacité d’innovation et une culture d’entreprise, rendre plus conviviales et collaboratives les heures passées au bureau…

Ça, c’est l’affaire des directeurs de l’environnement de travail : «La notion d’immeubles serviciels s’impose, explique Latifa Hakkou, présidente de leur association professionnelle, l’Arseg. On crée des espaces de bien-être, des artothèques, une restauration plus saine… Ce sont des demandes exprimées par les collaborateurs.» Mais il faut être assez convaincant pour éviter les bureaux vides le vendredi – et, dans une moindre mesure, le lundi –, et la bousculade du présentiel en milieu de semaine. Une restauration premium sans supplément de prix ferait partie des pistes.
Les chartes et accords sur le télétravail sont aussi peaufinés pour encadrer cette réorganisation des lieux et temps de travail. Certains sont particulièrement ambitieux, comme celui du groupe pharmaceutique Novartis qui compte 3 000 personnes en France. «Nous avions un accord classique mais, avec la pandémie, nous sommes repartis d’une feuille blanche», explique Alexandre d’Hauteville, directeur des relations sociales du groupe et vice-président du think tank Planète Social.

Le texte accorde jusqu’à 100% de télétravail à distance, sans lieu défini. Mais une réflexion doit avoir lieu avec l’équipe du salarié et son manager pour analyser les tâches du poste, collectives et individuelles avant que l’accord soit donné au salarié par son équipe. «Certains se sont installés en province, d’autres ont déménagé en région parisienne, poursuit le DRS. Chacun a aussi la possibilité de travailler jusqu’à deux mois hors des frontières, en Union européenne.»
Des formules de plus en plus innovantes, avec également le retour de la semaine de quatre jours. Portée en France depuis plus de vingt ans par l’eurodéputé Pierre Larrouturou, elle va devenir une réalité en Belgique pour des salariés volontaires, mais en contrepartie de journées plus longues. Au Royaume-Uni et en Espagne, des entreprises pilotes se lancent aussi. La France compte, elle, quelques précurseurs comme Yprema, société de recyclage de matériaux, depuis vingt-cinq ans, Bosch Rexroth, à Vénissieux, depuis 1998 et, depuis 2021, le distributeur informatique LDLC. Les deux derniers ont en plus réduit la durée hebdomadaire du travail à trente-deux heures, sans baisser les salaires.
Laurent de La Clergerie, patron de LDLC, avait été impressionné, en 2019, par l’expérience de Microsoft au Japon, qui accordait le vendredi à ses salariés et avait constaté une hausse de 40% de productivité. Il est devenu l’un des champions de l’équilibre vie privée-vie professionnelle et ses 900 salariés se disent satisfaits à 97%. LDLC reste l’une des sociétés les plus rentables de son secteur. Un exemple à suivre ?

Source : Baromètre Malakoff Humanis de février 2022 sur les nouvelles organisations du travail

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Télétravail : superviser sans fliquer, le nouveau casse-tête des manageurs

Avec le perfectionnement des outils de traçage et l’avènement du télétravail, la surveillance des salariés s’est déplacée en ligne. Demeure la difficulté à tracer la limite entre supervision et flicage.

« De base, on était déjà fliqués, mais le télétravail n’a pas arrangé les choses », se désole Sybile (à la demande de la salariée, le prénom a été changé). Lorsque cette téléconseillère à la Macif a l’occasion de travailler à la maison, son manageur n’est plus derrière son dos. Mais il surgit sur son écran. « On se prend un chat ou un mail dès que l’on dépasse trois ou quatre minutes d’attente entre deux appels. Parfois, il y a tellement de fenêtres qui s’ouvrent pour nous demander “tu fais quoi ?” qu’on n’arrive même plus à voir l’écran. J’ai une collègue qui s’est vu reprocher le fait de s’être loguée à 8 h 02 au lieu de 8 heures. »

A cette surveillance continue par écrans interposés s’ajoutent des tableaux de performance à remplir régulièrement, vitupère Sybile. Aux yeux de la salariée, ce contrôle « infantilisant » a des conséquences néfastes sur la motivation des équipes : « Certains de mes collègues vivent cela comme du harcèlement. » De son côté, la Macif nous a déclaré qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur ce sujet.
Combien de salariés, comme Sybile, ont vu le télétravail aller de pair avec une surveillance un peu trop poussée ? Avec le premier confinement, en mars 2020, cette organisation du travail à distance s’est imposée de force aux employeurs. Un choc culturel dans un pays qui comptait 7 % de salariés en télétravail en 2017, selon les estimations du service des statistiques du ministère du travail. Les entreprises ont longtemps freiné des quatre fers à l’idée de transposer le bureau à la maison. En novembre 2021, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, rappelait l’image de « glande » qui lui était rattachée. « Le télétravail a été source de perturbation pour beaucoup de manageurs, confirme Florent Frontela, directeur capital humain chez Deloitte. Ne plus avoir les collaborateurs sous les yeux, ça les inquiète. »

A en croire une étude de Vanson Bourne pour l’éditeur de logiciels VMware parue en 2021, 63 % des entreprises françaises prévoient ou ont déjà adopté des outils visant à renforcer leur supervision. Selon Régis Chatellier, chargé d’études innovation et prospectives à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), certains employeurs ont pu être tentés de franchir la ligne jaune : « Dès le premier confinement, on avait eu pas mal d’appels qui laissaient craindre qu’il pourrait y avoir des tentatives de surveiller plus que nécessaire des personnes en télétravail. »

Chez IBM, Yannick Edouard, le délégué syndical central CFE-CGC, relate quelques excès de zèle de la part de certains manageurs : « Au tout début du confinement, quelques-uns organisaient une visioconférence en début de matinée et demandaient aux salariés de rester connectés le reste de la journée. » Cette pratique a été marginale, relativise le délégué syndical, et la direction y a très vite mis fin.

Télétravail, horaires flexibles… les raisons de voir la vie (au travail) en rose

Ne boudons pas notre plaisir. En matière d’optimisme, les planètes sont alignées. D’un côté, les entreprises françaises sont plus de la moitié (55 %) à juger leur situation “meilleure” ou “bien meilleure” que l’annonçaient leurs prévisions, selon le dernier rapport (juin 2021) du leader de l’assurance Willis Towers Watson. Au point qu’un tiers d’entre elles prévoient un plan de recrutement renforcé dans les douze prochains mois. De l’autre côté, les salariés expriment un regain d’entrain depuis le retour progressif au bureau en septembre dernier. Selon l’indice Qualité de vie au travail et au télétravail, mesuré par la Fabrique Spinoza, l’Institut Think et Norstat, leur plaisir à travailler s’est accru de 7 points depuis la période de flottement d’avant le troisième confinement. Leur sentiment de disposer de plus de liberté a, lui, gagné 12 points ! La guerre des talents a fait basculer le rapport de force à l’avantage des actifs. Revue des bonnes raisons de voir la vie en rose en 2022.

La première ? Notre relation au travail s’est radicalement modifiée avec la pandémie. “Exercer son job en partie à distance est devenu le nouveau normal”, prévient Luc Bretones, cofondateur de NextGen Enterprise. Les dirigeants qui espéraient siffler la fin de la récré après les confinements se sont ravisés. Il est vrai que, faute de souplesse de la part de leur employeur, 25 % des salariés envisagent tout simplement d’en changer, avertit une étude McKinsey, synthétisée dans le baromètre Aneo-Holaspirit de l’Entreprise Nouvelle Génération.

Les télétravailleurs réguliers – en moyenne deux jours par semaine – sont plus épanouis que les autres. “Leur indice de qualité de vie au travail est supérieur de 7 points à celui des collaborateurs en présentiel”, souligne Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza. Ils sont aussi plus productifs, comme l’a calculé Microsoft sur la base d’un temps de trajet réduit, d’horaires flexibles et de l’adoption d’outils collaboratifs. Leur bureau annexe de prédilection ? Le domicile, plébiscité par 92 % d’entre eux.

Avec un bémol : une fatigue musculaire liée à la mauvaise ergonomie de leur poste de travail. Soucieux de confort à domicile, les employeurs commencent à proposer des solutions, comme Jean-Daniel Guyot, cofondateur de Memo Bank, qui a ouvert à chacun de ses 54 salariés une ligne de crédit chez Fleex, plateforme de matériel de bureau en ligne, pour s’équiper à domicile.
Pour répondre à notre aspiration croissante à l’autonomie et au bien-être, certains pionniers expérimentent aussi le temps flexible. C’est le cas de Novo Nordisk, au Danemark. Chez ce spécialiste du traitement contre le diabète, les horaires de début et de fin de journée sont choisis par chaque salarié tant que cela reste bénéfique à l’organisation. Vertueux, si l’on en croit une récente étude de Gartner (avril 2021) : les entreprises qui s’engagent dans cette direction voient 55 % de leur personnel devenir très performant.

“Le travail, autrefois centré sur le bureau, l’est aujourd’hui sur l’expérience collaborateur”, décrypte Nadine Yahchouchi, directrice M365 chez Microsoft France. Que viendra-t-on chercher dans les locaux de l’entreprise ? De la collaboration et du travail en équipe, répondent 83 % des sondés de l’enquête NextGen, des relations informelles (77,5 %) mais aussi de la concentration pour 45 % des répondants. Nous basculons dans l’ère du sur-mesure. Cette organisation hybride a des conséquences sur le rôle du dirigeant, désormais prié de piloter par objectifs, et dans la confiance. Chez Aneo, cabinet de conseil, on a fait éclater la fonction du manager en lui retirant son pouvoir de sanction et d’évaluation, deux fonctions désormais gérées par des dispositifs collectifs. Le manager se concentre sur une seule mission : faire grandir ses équipes.

Les soft skills sont plus que jamais valorisées. Bonne nouvelle car, quel que soit votre niveau hiérarchique, “on ne cherche plus votre conformité à une fiche de poste, obsolète dès le premier jour, mais votre aptitude à développer un talent au profit du collectif”, observe Luc Bretones, selon qui l’entreprise nouvelle génération est en perpétuelle recomposition, sous l’impulsion du corps social. On y travaille en mode projet, dans des équipes cellulaires. On y privilégie des “profils en T” : dotés, bien sûr, de compétences “verticales”, mais aussi capables de bosser en mode transverse. Ce qui prime désormais pour une entreprise ? Votre singularité, jusque dans vos expériences hors champ professionnel. Votre authenticité, “génératrice d’engagement, donc de performance»”, souligne Sébastien Hébert, manager chez Balthazar, cabinet de conseil en innovation managériale.

Une récente enquête du site d’emploi Monster révèle que 57 % des recruteurs aimeraient recevoir des CV exprimant davantage la personnalité du candidat. “On veut sortir des standards, confirme Romain Giunta, responsable éditorial chez Monster. L’esprit critique, la curiosité, la flexibilité, l’adaptabilité sont les compétences les plus recherchées, quand la technique souffre d’obsolescence rapide et que de nouveaux métiers émergent sans cesse.”

Les confinements nous ont aussi donné le temps de l’introspection. Passer plus de temps avec ses proches, travailler au vert, s’autoriser à exprimer ses émotions même au boulot, faire quelque chose d’utile à la société : “Ces aspirations ne sont plus l’apanage de la jeune génération mais de l’ensemble des actifs”, observe Anaïs Georgelin, fondatrice de SoManyWays, dont la vocation est d’accompagner les transitions professionnelles. Sa structure n’a jamais autant reçu de demandes de formation des managers sur le sens au travail. S’inspirant de la “raison d’être” des entreprises, le consultant Sébastien Hébert suggère de s’interroger, en tant que salarié, sur sa propre “mission managériale”. L’opportunité de faire tomber le masque pour ne plus se couper de soi-même au travail.

Selon la huitième vague du baromètre Empreinte Humaine sur la santé psychologique des salariés (octobre 2021), 58% d’entre eux disent avoir changé leurs priorités, 47% ont donné une nouvelle orientation à leur vie, cédant au désir de reconversion, et 35 % des télétravailleurs ont déménagé. Quand Memo Bank s’est convertie au “full remote”, certains de ses cadres sont partis s’établir en Ardèche et en Corse. Même migration vers la province observée chez Imfusio, cabinet parisien de conseil en management. Cet élan n’a pas échappé à la SNCF qui propose depuis septembre un abonnement attractif, “Mon forfait annuel télétravail”, pour ceux qui font la navette entre leur nouvelle terre d’élection et le siège de leur boîte. Signe des temps, les offres d’emploi se tassent en Ile-de-France au profit des villes moyennes telles que Tours, Angers ou Vannes, selon les statistiques d’HelloWork. La “démétropolisation” de l’emploi est en marche. La reprise du contrôle de nos vies aussi. Largement de quoi être optimiste.

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En 2021, le télétravail est devenue une pratique régulière pour 22% des salariés

Encouragé par le gouvernement pendant la crise sanitaire, le télétravail s’est imposé comme une pratique courante et régulière pour nombre de Français. Selon l’Insee, 22% des salariés en moyenne ont travaillé au moins une heure à domicile chaque semaine en 2021. Parmi eux, près de la moitié affirment même qu’ils ont télétravaillé tous les jours de la semaine. “Au total, 15% des jours travaillés par l’ensemble des salariés en 2021 l’ont été en télétravail”, relève l’institut de la statistique.

Ce recours au télétravail a été particulièrement important début 2021, et notamment en avril lorsque 31% des salariés déclaraient être concernés chaque semaine. L’amélioration de la situation sanitaire et la levée des obligations mises en place par le gouvernement a ensuite mis un frein à cette pratique: entre juillet et novembre, seuls 18% des salariés continuaient d’exercer au moins partiellement leur activité depuis leur domicile.

Reste que la pratique du télétravail est très inégale: certains métiers ne permettant tout simplement pas d’y recourir. Ce sont les cadres qui ont été les plus nombreux à gérer leurs équipes à distance. 55% d’entre eux ont télétravaillé chaque semaine en 2021, dont la moitié sur la totalité de la semaine. A eux seuls, les cadres ont représenté 60% des télétravailleurs alors qu’ils ne pèsent que 22% dans l’effectif moyen des entreprises.
Au sein des professions intermédiaires, une personne sur cinq (22%) a eu recours au télétrévail l’an passé, contre 17% chez les employés qualifiés. En revanche, “le télétravail était quasi inexistant tout au long de l’année chez les employés peu qualifiés ou les ouvriers”, souligne l’Insee.

Les cadres étant plus nombreux au sein des grandes entreprises, c’est en leur sein que la pratique du télétravail a été la plus importante (36% des salariés des entreprises de 250 salariés et plus) que dans les petites entreprises (9% dans les entreprises de moins de 10 salariés). A noter par ailleurs que les jeunes ont moins télétravaillé (17% des moins de 30 ans) que leurs aînés. Même chose pour les salariés à temps partiel (12%) et ceux en emploi à durée limitée (3% en intérim, 13% en CDD).

Forte proportion de cadres (60%), dépendance plus forte aux transports en commun… Les caractéristiques particulières de Paris ont fait de la capitale l’endroit où le télétravail était le plus répandu en 2021. Plus de la moitié des salariés qui y habitent (56%) y ont eu recours chaque semaine en moyenne, contre 36% dans le reste de l’Ile-de-France et seulement 10% environ dans les DOM et les communes très peu denses de France métropolitaine.
Cette inégalité de recours au télétravail vaut non seulement pour les cadres (75% des cadres résidant à Paris ont télétravaillé 24% dans les communes peu denses) mais aussi pour les salariés non cadres (8,9% ont télétravaillé dans les communes peu denses, contre 28,4% à Paris).

Au final, l’Insee distingue quatre catégories de télétravailleurs. D’abord, ceux qui n’ont quasiment pas télétravaillé l’an passé. Ils représentent 47% des salariés, majoritairement des ouvriers et employés exerçant le plus souvent une activité dans les secteurs de la santé ou l’action sociale, le commerce ou l’hébergement-restauration.

Un quart (26%) des salariés exercent par ailleurs un métier avec un “recours médian au télétravail”. Il s’agit essentiellement des professions intermédiaires, des employés qualifiés et des fonctionnaires. Le troisième groupe composé de 18% des salariés se caractérise par un recours fréquent au télétravail qui a concerné plus de la moitié (52%) d’entre eux en 2021. On y retrouve “des cadres occupant des fonctions de supervision, des ingénieurs informatiques, des cadres financiers ou encore des journalistes”, détaille l’Insee.
La quatrième catégorie ne regroupe enfin qu’une minorité de salariés (6%) occupant une profession ayant pratiqué le télétravail de manière intensive. Il s’agit en grande partie de cadres (ingénieurs informatiques, enseignants-chercheurs dans le supérieur, cadres financiers…). 77% d’entre eux ont télétravaillé en moyenne chaque semaine en 2021 et près de six jours travaillés sur dix l’ont été en télétravail au sein de ces professions.

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Télétravail : les enjeux d’une nouvelle forme d’organisation du travail

Le 2 février 2022, le Gouvernement a redonné la main aux entreprises quant à l’organisation et au temps alloué au télétravail.

Pour autant, cette décision ne marque pas le retour à l’ère pré-covid. La crise a eu un effet accélérateur dans l’adoption de nouveaux modes de travail (outils digitaux et adaptation du management des équipes). Le télétravail est devenu une pratique comme une autre pour bon nombre d’entreprises qui proposent désormais l’intégration durable de cette nouvelle forme d’organisation du travail.
La durée du télétravail a quasi doublé dans les TPE PME pour passer de 0,75 à 1,3 jours par semaine. Mais cette évolution n’est pas sans poser à terme de multiples questions.
Conditions de travail, droit à la déconnexion, risques psychologiques… Quels sont les enjeux juridiques portés par cette nouvelle forme de travail ? Quelles situations doivent être anticipées ?
Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, notamment du droit à la déconnexion. Télétravail ne signifie pas être joignable en permanence.

Le droit à la déconnexion permet d’assurer un équilibre vie privée / vie professionnelle et s’applique aussi bien aux salariés en télétravail qu’aux salariés en présentiel. C’est le droit de ne pas être connecté à un outil numérique (téléphone, ordinateur, messagerie…) en dehors de son temps de travail. Chaque entreprise a la liberté de mettre en place les outils qu’elle juge nécessaire pour assurer ce droit : définition du temps de travail, blocage des messageries en dehors des horaires de travail.

L’autre enjeu spécifique à la pratique du télétravail réside dans la prise en charge des frais, qui laisse place à un vide législatif. Sauf charte ou accord collectif, aucune disposition n’impose à l’employeur de prendre en charge les frais de télétravail. Toutefois, la question se pose lorsque le télétravail est imposé par l’employeur en cas de circonstances exceptionnelles.
Il serait en effet injuste de faire supporter les frais de matériel informatique, connexion internet… au salarié forcé d’être en télétravail. L’enjeu est donc présent pour les entreprises qui ont délaissé leurs bureaux physiques pour une organisation 100% en télétravail.

Avec le travail à distance, l’employeur perd en partie la maîtrise et le contrôle de la productivité du salarié et doit néanmoins s’assurer de ses bonnes conditions de travail et de sa bonne santé mentale.
Il peut évaluer le travail du salarié en télétravail en recourant à des dispositifs de surveillance proportionnés et portés à la connaissance du collaborateur. Sera par exemple jugé comme invasif le partage permanent d’écran.
La surveillance implique pour l’employeur de respecter son obligation de sécurité envers ses salariés en tenant compte des risques psychosociaux (burn-out, isolement…). À l’employeur d’anticiper et de prendre des mesures de prévention propices au maintien du lien entre équipes. Cela implique d’affiner sa communication, son style managérial, de mettre en place des instances sociales récurrentes…

Pour les métiers « télétravaillables », il y aura un avant et un après dans leur rapport avec le lieu de travail. Entreprises et salariés ont aujourd’hui plus que jamais besoin de souplesse, auquel le droit devra rapidement s’adapter afin de garantir les intérêts de chacun.
(Crédit photo : iStock)

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Télétravail : le rythme idéal pour les salariés et les fonctionnaires, selon leur profil

Les salariés et agents de la fonction publique veulent pouvoir continuer à télétravailler… mais de manière moins intensive qu’au plus fort de la crise sanitaire, en 2020. La Dares, le service statistiques du ministère du Travail, a interrogé plus de 5.000 salariés et agents publics ayant télétravaillé entre mars 2020 et janvier 2021, dans le but de connaître leurs conditions de travail pendant cette période, mais aussi leurs souhaits pour la suite.

D’après les résultats de cette enquête, publiés ce jeudi 10 février, plus de la moitié des actifs (56%) déclarent ne pas être concernés par le télétravail ou avoir des tâches incompatibles avec le travail à distance. Si l’on se concentre uniquement sur les télétravailleurs, 70% d’entre eux souhaitent poursuivre cette pratique au moins une fois par semaine. Mais seulement 8% accepteraient de travailler à distance cinq jours sur cinq. À l’extrême opposé, 7% des actifs ayant télétravaillé de mars 2020 à janvier 2021 aimeraient définitivement arrêter de le faire, car ils estiment que leurs tâches ne sont pas compatibles avec le télétravail.
Pour aller plus loin dans l’analyse, la Dares a distingué cinq profils “types” parmi les plus de 5.000 salariés et agents publics ayant eu au moins une période de télétravail entre mars 2020 et janvier 2021.

D’après le service statistiques du ministère du Travail :
Logiquement, les envies des actifs en matière de rythme de télétravail ne sont pas les mêmes selon leur profil. Par exemple, les télétravailleurs “exclusifs”, qui ont travaillé à distance tous les jours en janvier 2021, aimeraient majoritairement poursuivre cette pratique trois à cinq jours par semaine (57%). Les télétravailleurs “intensifs”, quant à eux, optent plutôt pour un rythme d’un ou deux jours par semaine (57%). Près de la moitié des télétravailleurs “occasionnels” (48%) aimeraient avoir un rythme de télétravail régulier et plus ou moins intensif (37% un ou deux jours par semaine, 9% trois ou quatre jours, voire cinq jours sur cinq pour 2% d’entre eux).

Sans surprise malheureusement, le télétravail est allé de pair avec une explosion de la durée quotidienne de travail. Ainsi, toujours selon la Dares, 23% des télétravailleurs ont connu un accroissement de leur temps de travail sur la période allant de mars 2020 à janvier 2021. Cette part est encore plus élevée pour les télétravailleurs “exclusifs” (32%), qui ont continué à télétravailler cinq jours sur cinq début 2021, mais aussi pour les “vulnérables” (39%), en raison des difficultés ressenties dans la pratique du télétravail, qui les ont conduits à travailler sous pression et à penser à “trop de choses à la fois”, d’après la Dares.

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Télétravail : 10 questions pratiques qui se posent aux employeurs

C’est le sujet RH du moment. La crise sanitaire a accéléré le déploiement du télétravail dans les entreprises. Début janvier, le gouvernement a décidé de renforcer les règles relatives au télétravail. Ainsi, il appartient aux employeurs de fixer un nombre minimal de 3 jours de télétravail par semaine , pour les postes qui le permettent.

Lorsque l’organisation du travail et la situation des salariés le rendent possible, ce nombre peut être porté à 4 jours par semaine. Les entreprises qui ne jouent pas le jeu peuvent écoper d’une amende maximale de 1.000 euros par salarié , dans la limite de 50.000 euros par entreprise.

Avec cette nouvelle modalité de travail, des questions nouvelles apparaissent tant dans l’organisation que le management.

L’employeur doit s’assurer que toutes les conditions habituelles de travail sont bien réunies pour ses employés, pour qu’ils puissent travailler à distance comme à leur poste. Dans ce contexte spécifique, l’entreprise doit définir les modalités d’aménagement liées au télétravail dans une note de service ou une charte , et préciser les postes concernés par le télétravail, le mode de passage et de retour au travail, le mode d’acceptation par le salarié, le contrôle du temps de travail et la régulation de la charge de travail, ou encore les plages horaires pour contacter le salarié.

Au-delà du devoir d’information, l’entreprise doit fournir et installer l’équipement nécessaire au télétravail – ordinateur, connexion, logiciels – pour assurer la continuité du travail. Pour protéger les données de l’entreprise, cette dernière restant le responsable de traitement des données, il est fortement recommandé de sécuriser l’outil du télétravailleur .

L’employeur est par ailleurs tenu de respecter les mêmes obligations vis-à-vis des télétravailleurs que des équipes sur site. Les salariés à distance doivent donc bénéficier des mêmes avantages légaux et conventionnels que les autres comme les entretiens professionnels qui permettent notamment de faire le point sur la charge de travail et les conditions d’activité, les droits à la formation…
L’employeur doit enfin veiller au respect par le télétravailleur des règles de santé (travail sur écran notamment) et de sécurité des équipements électriques. Pour ce faire, l’employeur doit l’informer de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail, notamment par la mise en place de fiches expliquant les précautions à prendre ainsi que les règles à suivre par le télétravailleur.

La signature d’un accord n’est pas obligatoire. Pour mettre en place le télétravail, l’entreprise a trois options : signer un accord collectif si elle dispose en son sein de délégués syndicaux, rédiger une charte qu’elle soumet avant pour avis au CSE, ou en l’absence d’accord collectif ou de charte unilatérale, obtenir l’accord du salarié.

La signature d’un accord ou la rédaction d’une charte sont vivement conseillées dès lors que le recours au télétravail est régulier, car elles permettent de fixer un cadre collectif.

Dans ses questions-réponses, la Cnil rappelle que l’employeur conserve son pouvoir d’encadrement et de contrôle de l’exécution des tâches confiées au salarié dans le respect des droits et libertés attachés aux salariés. A ce titre, les moyens de contrôle mis en place doivent être proportionnés et justifiés par la nature de la tâche à accomplir.

Lorsque l’entreprise souhaite avoir recours à un dispositif de contrôle, ce dernier doit répondre aux exigences imposées à tout traitement de données personnelles. Il doit avoir un objectif clairement défini et ne pas être utilisé à d’autres fins ; être proportionné et adéquat à cet objectif et nécessiter une information préalable des personnes concernées.

Par conséquent, une surveillance permanente des salariés n’est pas envisageable. Ainsi, il n’est pas possible pour l’employeur ou le manager d’instaurer une surveillance constante au moyen d’outils vidéo. Ce dispositif est excessif et intrusif, peu importe l’objectif poursuivi.

Par ailleurs, sauf circonstances très particulières justifiées par l’employeur, ce dernier ne peut pas imposer l’activation de la caméra aux salariés en télétravail participant à des visioconférences. Il ne peut non plus exiger du salarié des actions régulières pour démontrer sa présence derrière son écran et imposer un partage d’écran permanent. Ce dispositif s’analyse en une surveillance permanente invasive et disproportionnée au regard des activités des salariés.

Pour s’assurer de la bonne conduite des tâches demandées aux salariés, d’autres solutions peuvent être déployées par l’employeur comme la mise en place d’un compte rendu régulier du salarié ou d’un contrôle de la réalisation d’objectifs pour une période donnée. Ces objectifs doivent être raisonnables, susceptibles d’être objectivement quantifiés, et contrôlables à des intervalles réguliers.

L’ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié l’article L1222-10 du Code du travail, qui disposait que « l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail , notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ».
Les employeurs ne sont donc plus tenus de supporter tous les coûts découlant du télétravail, sauf si une négociation ou un accord collectif prévoient cette prise en charge. Attention toutefois, car en cas de litige, les juges considèrent que les dépenses engagées par les salariés pour les besoins de leur activité doivent leur être remboursées. L’ANI du 26 novembre 2020 relatif au télétravail confirme d’ailleurs qu’il « appartient à l’entreprise de prendre en charge les dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur ».

L’indemnisation peut prendre la forme d’un remboursement des frais réels (sur justificatifs) ou d’une indemnité forfaitaire globale. Le remboursement des frais peut se faire soit sur la base de frais réels (sur justificatifs) soit sur la base d’un forfait. L’allocation forfaitaire versée par l’employeur est exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de 10 euros par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine. Elle passe à 20 euros par mois pour un salarié effectuant deux jours de télétravail par semaine, 30 euros par mois pour trois jours par semaine.

L’employeur n’est pas tenu d’indemniser la perte de l’accès à la cantine d’entreprise . La participation au repas pris à la cantine constitue un avantage pour le salarié qui y déjeune. Si celui-ci fait le choix de manger dans un autre lieu, l’employeur ne lui verse rien. Il en est de même donc lorsque le collaborateur est en télétravail. Pour favoriser la sérénité de la relation de travail avec les télétravailleurs et éviter tout contentieux, il est judicieux d’encadrer dans une charte ou un accord collectif la question des frais professionnels et celle des avantages en nature nourriture issus du télétravail. Ils vont venir clarifier les bénéficiaires des avantages en nature, fixer les critères objectifs d’éligibilité et écarter si besoin les télétravailleurs des avantages en nature résultant de la présence sur site puisque c’est l’utilisation du service sur site qui fonde la participation de l’employeur.

Concernant les tickets-restaurants, ils doivent en principe être maintenus pour les collaborateurs qui basculent en télétravail. Dans ses questions-réponses, le ministère du travail rappelle ce principe d’égalité de traitement pour les télétravailleurs. Il s’agit d’une règle d’ordre public rappelée par l’article 4 de l’ANI du 19 juillet 2005 relatif au télétravail et reprise dans le Code du travail à l’article L 1222-9. Dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurants, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes.
Le télétravail peut s’effectuer en dehors du domicile du salarié , sauf si la charte ou l’accord prévoient le contraire. La loi n’interdit pas non plus d’exercer son activité ailleurs. Un salarié peut donc se rendre dans un centre d’affaires ou espace de coworking . Il peut être aussi s’effectuer à plus grande distance, d’un lieu de vacances ou d’une maison secondaire. Le collaborateur doit tout de même informer son employeur. Ce dernier ayant une obligation de santé et de sécurité, il doit s’assurer que son employé ne court aucun danger sur son lieu de travail.

Un collaborateur qui travaille habituellement dans les locaux de l’entreprise peut parfaitement refuser de télétravailler . Son accord étant impératif. Son refus ne constitue donc pas un motif de rupture de son contrat de travail.
En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie ou en cas de force majeure, il est possible de passer outre l’accord du collaborateur. La mise en oeuvre du télétravail est alors considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés, selon l’article L 1222-11 du Code du travail. La mise en oeuvre du télétravail dans ce cadre ne nécessite aucun formalisme particulier.

Selon l’article L.1222-10 du Code du travail, l’employeur est tenu de fixer, en concertation avec le salarié, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter. Il faut donc veiller à articuler le temps de travail et le droit à la déconnexion. Comment faire ? Consacré par l’ article L2242-17 du Code du travail , le droit à la déconnexion vise à assurer le respect des temps de repos et de congé des salariés et à parvenir à une meilleure articulation entre vie personnelle et vie professionnelle. Il peut ainsi s’entendre comme le droit pour tout salarié de ne pas être connecté à un outil numérique (téléphone, ordinateur, messagerie…) en dehors de son temps de travail. Le Code du travail ne prévoyant pas de mesure concrète pour assurer l’effectivité du droit à la déconnexion, il revient à l’employeur de mettre en place des règles appropriées pour permettre l’exercice de ce droit.

Ces modalités doivent être définies par le biais d’un accord employeur-salariés, dans le cadre de la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail dans toutes les structures dotées d’une représentation syndicale. À défaut d’accord, notamment dans les entreprises de plus de 11 salariés, l’employeur élabore une charte, après avis du comité social et économique afin de définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion. Pour préserver la santé de ses équipes, une entreprise peut par exemple définir des temps de travail et de déconnexion, mettre en place des systèmes informatiques qui bloquent l’accès aux messageries en dehors des horaires de travail, ou encore prévoir dans les signatures des salariés un message mentionnant l’existence du droit à la déconnexion.
Aucune sanction n’est prévue pour l’employeur qui n’a pas mis en oeuvre des dispositions légales sur le droit à la déconnexion. Cependant, il peut être sanctionné s’il n’a pas respecté son obligation de négocier sur la qualité de vie au travail ou bien encore s’il ne respecte pas la durée du repos du salarié.
Le télétravailleur bénéficie de la même protection sociale que les autres salariés de l’entreprise. Ainsi, un accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle, est présumé être un accident de travail, au sens des dispositions de l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale (article L. 1222-9 du Code du travail). Si l’employeur entend contester la qualification d’accident du travail, il lui appartient d’apporter toute preuve et de renverser cette présomption s’il estime que l’accident a été occasionné par une cause étrangère au travail.

Généraliser l’usage des caméras lors des visioconférences ne semble pas compatible avec le respect de la vie privée. Interrogée à ce sujet, la Cnil rappelle que l’employeur conserve son pouvoir d’encadrement et de contrôle de l’exécution des tâches qui permettent aux utilisateurs de flouter l’arrière-plan, afin de permettre aux participants de ne pas faire apparaître les images de leur domicile (qui peuvent révéler des informations privées) ou les tiers qui passeraient dans le champ de vision de la caméra.
Lorsqu’il n’est pas possible ou souhaitable de recourir à un dispositif de floutage, l’employeur ne peut pas imposer systématiquement aux salariés en télétravail d’allumer leur caméra pour participer à des visioconférences. Son activation doit donc en principe être laissée à l’appréciation des collaborateurs dans la mesure où, dans la plupart des cas, une participation via le micro est suffisante.
Néanmoins, dans la mesure où la demande est proportionnée à l’objectif poursuivi et dans des cas particuliers, comme un entretien « RH », une rencontre avec des clients extérieurs ou la présentation de nouveaux arrivants, l’employeur peut imposer le déclenchement de la caméra. Lorsque c’est possible, il est préférable d’en avoir au préalable informé le salarié afin qu’il puisse s’organiser en conséquence, et s’installer dans une pièce adéquate.

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Télétravail : l’exécutif fait marche arrière et revient à une règle stricte de 3 jours par semaine

La nouvelle année va démarrer avec un durcissement des règles du télétravail. Comme l’a annoncé, ce lundi, le Premier ministre, Jean Castex, “le recours au télétravail sera rendu obligatoire pour toutes les entreprises et pour tous les salariés pour lesquels c’est possible”, à compter de lundi 3 janvier et pour une durée de trois semaines. Et ce, à raison de “trois jours minimum par semaine”, voire quatre pour les métiers qui le permettent. Le protocole sanitaire en entreprise a été mis à jour, ce jeudi 30 décembre, pour intégrer cette nouvelle consigne.

Mais initialement, dans la première version transmise aux partenaires sociaux ce mercredi et que Capital s’était procurée, le gouvernement avait adopté une formulation plus nuancée, dans le but d’accorder une certaine souplesse aux employeurs. “Dans les circonstances actuelles de circulation élevée du virus et de l’apparition du variant Omicron, les employeurs fixent à compter du 3 janvier et pour une durée de trois semaines, un nombre minimal de trois jours en moyenne, calculé sur l’effectif concerné, de télétravail par semaine, pour les postes qui le permettent”, écrivait ainsi le ministère du Travail. Un nombre qui “peut être porté à quatre jours par semaine”, “lorsque l’organisation du travail et la situation des salariés le permettent”.

Avec cette formulation, il n’était donc plus question d’imposer au minimum trois jours de télétravail à chaque salarié, mais d’instaurer une moyenne de trois jours par semaine pour l’ensemble des métiers télétravaillables dans une même entreprise. “L’objectif serait de permettre aux salariés fragiles de faire moins de télétravail”, ce qui serait compensé par davantage de travail à distance pour d’autres employés, nous a expliqué le ministère du Travail, mercredi. Autrement dit, un employeur aurait pu permettre aux salariés qui se sentent isolés de télétravailler seulement un ou deux jours par semaine (voire pas du tout), tandis que d’autres auraient pu travailler à distance quatre ou cinq jours.
Finalement, cette notion de moyenne a été retirée de la version définitive du protocole, qui vient d’être mise en ligne. Le document revient donc à une jauge classique, avec un “nombre minimal de trois jours de télétravail par semaine” obligatoire pour chaque salarié, voire quatre lorsque cela est possible. Un retour en arrière qui, selon nos informations, s’expliquerait par un souci de concordance avec la circulaire relative au télétravail dans la fonction publique d’État, publiée ce mercredi et qui prévoit une obligation de trois jours de télétravail par semaine pour chaque agent dont les fonctions le permettent, et non une moyenne de trois jours pour l’ensemble de l’effectif pouvant travailler à distance.

 

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Télétravail : faut-il traquer les « glandeurs »?

« L’image du télétravail, c’est un peu la glande », avait rapporté le patron du Medef qui rechigne à la prolongation de son obligation. Si certains salariés – très minoritaires – profitent de la situation, est-il pour autant pertinent de chercher à débusquer les tire-au-flanc ?

Le télétravail apporte de la flexibilité dans le quotidien du salarié : étendre le linge, recevoir un colis ou aller à un rendez-vous chez le médecin n’a jamais été aussi simple à caser dans sa journée de travail. La contrepartie tacite est de travailler sans doute un peu plus tôt le matin et plus tard le soir. En bref, changer la façon de travailler mais rien à voir avec les vacances. Pourtant, certains en doutent.

Le 23 novembre dernier, Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef, lâchait : « Pour certains salariés qui ne peuvent pas télétravailler, l’image du télétravail, c’est un peu la glande » sans qu’on puisse comprendre s’il partageait ou non cette vision. Face à cette déclaration, certains se sont cabrés, criant au retour du patronat archaïque, dépourvu de toute confiance envers les salariés.
D’ailleurs, face à la volonté du gouvernement de prolonger l’obligation de télétravailler trois jours par semaine, le président du Medef n’a pas tardé à réagir : « On regrette cette décision qui va peser sur certains secteurs de l’économie et sur le moral des collaborateurs. On aurait préféré une incitation à une contrainte. »

Si l’expression de « glande » est probablement excessive, elle ne doit pas empêcher de regarder le télétravail en face et se demander si, bien qu’efficace, une frange même infime des télétravailleurs ne bayent pas aux corneilles, tapis derrière leur Webcam éteinte.

Alors oui, nous avons échangé avec des télétravailleurs qui profitent de la situation. Tristan (qui ne souhaite naturellement pas divulguer son identité), en stage dans la finance, reconnaît que ça lui arrive d’étirer ses nuits jusqu’à tard dans la matinée, à la suite de soirées arrosées. Oscar (lui aussi en finance, lui aussi sous couvert d’anonymat) nous confie modifier les paramètres de la messagerie interne pour ne pas apparaître « inactif » au bout de cinq minutes, mais après deux heures. C’était surtout le cas l’été, confie-t-il, quand l’activité ralentit.

A ce moment-là, reconnaît-il, il poussait le bouchon un peu loin : des déjeuners de plus de deux heures, des après-midi piscine avec l’ordinateur ouvert sur le côté toujours connecté, sans trop de culpabilité : « Mon tuteur faisait plus ou moins pareil, il avait des enfants en bas âge et les écoles étaient fermées. »
Parfois, certains vont encore plus loin. Antoine (toujours anonyme), salarié d’une grande entreprise française, va taper quelques balles en journée, parfois sur des courts de tennis situés à plusieurs dizaines de kilomètres de son lieu de résidence, sans éveiller aucun soupçon. Pour se justifier, il avance le fait qu’il n’a pas assez de travail. Selon Sandra (anonyme), salariée à Toulouse, c’est le manque de motivation qui l’a poussée à commettre l’impensable : partir randonner une demi-journée pendant sa semaine de télétravail, entre Noël et le jour de l’an.

Florence Bonpaix, elle, ne « glande » pas. Elle travaille dans le fonds de capital-risque Ring Capital où elle accompagne une vingtaine de start-up sur les sujets RH. Elle a constaté qu’environ deux tiers des collaborateurs de ces entreprises ne voulaient pas revenir au bureau au moment de l’assouplissement des règles au printemps dernier. Pourquoi? « Sans doute que c’était plus confortable de gérer tout un tas de choses : les enfants, le sport, le médecin, les courses, etc. »
Une question vient alors : faut-il mettre en place des contrôles ? Si certaines entreprises l’ont fait, reconnaît Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH), peu se sont aventurées sur ce terrain glissant. La justice française ne goûte que très peu ces choses-là. « Peu de systèmes de surveillance trouvent grâce aux yeux des juges, confirme Alexandre Ebtedaei, avocat associé spécialisé en droit social au cabinet FTPA. La plupart de ces logiciels ne parviennent pas à déterminer si l’activité du salarié relève du travail ou non. Ils sont donc jugés trop intrusifs. »

Même un voyant « inactif » sur Teams peut difficilement constituer une preuve de farniente devant les tribunaux. « Aucune entreprise ne prend soin de notifier aux salariés que ce voyant peut être scruté. Or, pour être utilisé comme preuve, l’entreprise doit avoir informé qu’il pouvait mesurer l’effectivité du travail, à la fois aux salariés mais aussi aux représentants du personnel, précise l’avocat. Autre argument : les juges reconnaissent la possibilité de ne pas être constamment collé à son écran durant une journée de travail. »

Autant de raisons qui rendraient difficile la mise en place de systèmes de surveillance. Au fond, est-il même souhaitable de traquer les télétravailleurs dilettantes ? Pas si sûr. Les unes après les autres, les études montrent qu’en fin de compte, le télétravail – pratiqué dans de bonnes conditions – augmente la productivité.

Pour n’en citer qu’une : le Bureau national de la recherche économique américain estime, en 2021, que le télétravail effectué dans l’économie postpandémique boostera la productivité de 4,6 % par rapport à la période prépandémique. Et ce chiffre englobe les « glandeurs » qui représenteraient une proportion « epsilonesque », selon Chiara Criscuolo, économiste et auteure principale d’une étude de l’OCDE sur l’apport du télétravail pour la productivité.
Face à ces gains potentiels de productivité, les économistes plaident pour plus de télétravail. Les travaux de Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School, vont même plus loin que les résultats de l’étude américaine. Si les entreprises passaient de 5 % de télétravailleurs – comme en 2019 – à 25 % deux à trois jours par semaine, les gains de productivité de l’économie française seraient d’environ 9 %. « C’est très fort », martèle-t-il.

Les principales raisons sont désormais connues : un temps de transport en partie transformé en temps de travail et une plus grande satisfaction donc une plus grande motivation. Mais pour y arriver, le télétravail doit être bien organisé, bien managé, alertent les économistes interrogés.

Cela veut-il dire plus de surveillance ? Ce n’est pas le souhait des managers. L’étude de l’OCDE mentionnée plus haut a mesuré que seuls 15 % des répondants (managers et salariés) aimeraient recourir aux nouvelles technologies pour surveiller l’activité des salariés. « Il faut noter tout de même que les managers français ne sont pas nombreux à avoir répondu à cette question », précise Chiara Criscuolo, soulignant le manque de confiance caractéristique de la France entre managers et salariés. Preuve que le sujet est latent : la Cnil a annoncé faire de la traque aux outils de surveillance illégaux des salariés en télétravail une de ses trois priorités pour l’année 2022.

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Mais les choses semblent sur la bonne voie : « Si le ‘command & control’ pouvait être une préoccupation des managers en début de pandémie, avec notamment un surcroît de demande de reporting, aujourd’hui ce n’est majoritairement plus le cas, observe Florence Bonpaix au sein des start-up qu’elle accompagne. La priorité est que les choses soient faites ! » Une vision partagée par les grandes entreprises, selon Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH, qui pointe néanmoins le risque de tomber dans « un modèle du tâcheron qui pousserait les salariés à télétravailler jusqu’à 5 heures du matin pour atteindre leurs objectifs », sans moment d’échanges informels, source de créativité .

Si donner plus d’autonomie aux travailleurs sonne comme une évidence en 2022, cela était beaucoup moins vrai dans le « monde d’avant ». Tout se passe alors comme si le télétravail nous avait poussés à revisiter la notion de travail. Celle-ci ne se définit plus forcément par les heures mises à disposition de l’entreprise pour réaliser des tâches en fonction d’une organisation imposée.

« Les managers de proximité doivent accepter que les gens ne s’organisent pas comme en présentiel, ajoute Benoît Serre, qui est également DRH de L’Oréal France. Le succès du télétravail vient du fait que le collaborateur a une plus grande liberté de manoeuvre dans l’organisation de son travail. Faire du présentéisme chez soi a encore moins d’intérêt ! »

Corollaire de cette révolution quasi copernicienne (en particulier pour la France), le salarié va pouvoir mettre les gaz quand l’activité de l’entreprise le nécessite et relâcher la pression pendant les périodes creuses.

Contrôler les télétravailleurs est contre-productif pour ce DRH. « On ne doit pas édicter des règles strictes pour les quelques mauvais joueurs au risque d’ennuyer les 90 % autres salariés qui jouent le jeu ! » estime Benoît Serre. Avant d’ajouter : « Ceux qui font semblant de bosser à distance le font aussi en présentiel. Et dans une grande organisation, on sait qu’il est facile de faire croire qu’on travaille en se baladant un dossier à la main dans les couloirs. »

Au contact de ses entreprises clientes, l’avocat Alexandre Ebtedaei confirme la diffusion de cette nouvelle vision du travail. « La plupart me disent qu’elles se fichent que leurs salariés soient aux Baléares pour travailler. Elles veulent que le travail soit fait en temps et en heure et elles me demandent de rédiger des clauses en ce sens. »
Pour encadrer le télétravail tout en conservant cette flexibilité sur les conditions d’exécution, il peut leur conseiller d’exiger de salariés (desquels on attend une certaine réactivité) qu’ils consultent régulièrement leurs mails durant les horaires de travail, avec une obligation de répondre dans un délai raisonnable d’une à deux heures, sauf si la réponse demande plus de réflexion. Auquel cas on peut leur demander d’accuser réception en envoyant un mail d’attente.
Autre possibilité : exiger, en fin de journée, un bilan des missions effectuées. C’est le cas de la start-up WeWard . La quinzaine de salariés, en télétravail ou non, se connecte à 17 heures pour un point de quinze minutes. Chacun, à son tour, prend la parole pour exposer ses travaux, son humeur, ses succès et ses difficultés. « L’objectif est de garder un contact quotidien avec les équipes afin de détecter de signaux faibles de baisse de moral ou de difficultés et de pouvoir s’aider le cas échéant », affirme Yves Benchimol, le cofondateur.

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Si cette approche postpandémique du travail concerne surtout les cadres, Alexandre Ebtedaei souligne qu’elle vaut de plus en plus pour les professions intermédiaires, preuve d’une tendance de fond.
Romain est d’emblée entré sur le marché du travail en bénéficiant de ce régime de télétravail élargi, « offert » par la pandémie. Pour lui, la différence est flagrante entre les deux mondes. A 17 heures, quand il sent qu’il ne pourra plus avancer sur tel ou tel dossier, il éteint l’ordinateur. « En présentiel ça ne serait pas possible. Partir plus tôt est encore mal vu et je me sens obligé de rester, quitte à faire des choses qui ne servent à rien. »

Dans son cas, cette liberté est même indispensable. Stagiaire dans une société de gestion d’actifs, il reconnaît avoir besoin de faire plusieurs choses en même temps pour être efficace : en plus du travail, il écoute de la musique ou regarde un documentaire. « Plus je fais de choses, plus je suis performant. Avec le télétravail, je peux déployer ma propre façon de travailler, ce qui paraîtrait comme un écart professionnel si je le faisais en open space. »

Il reconnaît néanmoins que le tout télétravail n’est pas la « panacée ». D’ailleurs, selon le dernier baromètre annuel Paris Workplace , les jeunes salariés franciliens ont conscience de l’importance du présentiel : leur nombre idéal de télétravail est de 2,1 jours par semaine contre 2,3 pour les plus de 35 ans.

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