Surveillance du salarié en télétravail par l’entreprise : la CNIL alerte

L’essor du télétravail en entreprise permet aux salariés une plus grande flexibilité dans l’organisation de leur travail. Cependant, dans son rapport annuel 2021, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) rapporte une hausse des cas de surveillance du salarié par l’employeur et souligne que certains dispositifs de contrôle des salariés travaillant à distance sont excessifs.
Durant la crise sanitaire, le télétravail s’est modernisé de sorte qu’il s’est largement répandu dans les entreprises. Certains employeurs ont mis en place des dispositifs de contrôle pour surveiller leurs salariés en télétravail mais certaines mesures sont jugées excessives par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Dans son rapport annuel publié le 11 mai 2022, la CNIL dresse le bilan de l’année 2021 et présente les enjeux de 2022. Parmi ceux-ci, la surveillance des moyens de contrôle que les employeurs mettent en place pour leurs salariés en télétravail et la lutte contre les potentiels abus.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) relève que plus d’un salarié sur cinq a télétravaillé en 2021. Cette nouvelle manière de travailler s’est accompagnée d’une hausse des abus de contrôles par les employeurs. La surveillance au travail est ainsi devenue l’un des principaux motifs de plainte auprès de la CNIL.

Dans son rapport annuel, la CNIL mentionne que pour l’année 2021, plus de 83 % des plaintes reçues sur la surveillance des salariés concerne des dispositifs de vidéosurveillance au travail.

La hausse des cas d’abus de contrôle s’explique par la multitude de moyens dont dispose l’employeur pour surveiller l’activité de son salarié :
De plus, certains employeurs obligent leur salarié à utiliser leur caméra durant l’intégralité de leur journée de travail. Cette pratique est illégale puisque la surveillance permanente d’un salarié n’intervient que dans des cas exceptionnels dûment justifiés au regard de la nature de la tâche. Tous les dispositifs de surveillance constante comme l’obligation d’activer sa caméra ou son micro tout au long de son temps de travail, le partage permanent de l’écran ou les outils enregistreurs de frappe au clavier ne sont pas autorisés.

Par ailleurs, dans son questions-réponses sur le télétravail, la CNIL rappelle que lorsqu’il n’est pas possible de flouter l’arrière-plan, l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il active sa caméra en permanence à l’occasion d’une réunion en visioconférence sauf dans des cas particuliers comme un entretien RH ou une rencontre avec des clients extérieurs.
La CNIL a observé que les plaintes relatives à ce type d’abus concernent des entreprises de taille réduite n’ayant pas de service juridique ou de délégué à la protection des données (DPO).
L’employeur souhaitant surveiller l’activité de son salarié doit utiliser des moyens proportionnés et ne portant pas une atteinte excessive au respect des droits et libertés du salarié, notamment le droit à la vie privée.
De plus, l’employeur doit informer le salarié sur les moyens qu’il utilise pour collecter des informations sur lui.

Si cela n’est pas le cas, le salarié peut saisir l’inspection du Travail ou adresser une réclamation à la CNIL qui pourra mettre en demeure ou sanctionner l’employeur.
Ainsi, la CNIL veille aussi à l’information des professionnels quant à leurs droits et obligations.

Télétravail : superviser sans fliquer, le nouveau casse-tête des manageurs

Avec le perfectionnement des outils de traçage et l’avènement du télétravail, la surveillance des salariés s’est déplacée en ligne. Demeure la difficulté à tracer la limite entre supervision et flicage.

« De base, on était déjà fliqués, mais le télétravail n’a pas arrangé les choses », se désole Sybile (à la demande de la salariée, le prénom a été changé). Lorsque cette téléconseillère à la Macif a l’occasion de travailler à la maison, son manageur n’est plus derrière son dos. Mais il surgit sur son écran. « On se prend un chat ou un mail dès que l’on dépasse trois ou quatre minutes d’attente entre deux appels. Parfois, il y a tellement de fenêtres qui s’ouvrent pour nous demander “tu fais quoi ?” qu’on n’arrive même plus à voir l’écran. J’ai une collègue qui s’est vu reprocher le fait de s’être loguée à 8 h 02 au lieu de 8 heures. »

A cette surveillance continue par écrans interposés s’ajoutent des tableaux de performance à remplir régulièrement, vitupère Sybile. Aux yeux de la salariée, ce contrôle « infantilisant » a des conséquences néfastes sur la motivation des équipes : « Certains de mes collègues vivent cela comme du harcèlement. » De son côté, la Macif nous a déclaré qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur ce sujet.
Combien de salariés, comme Sybile, ont vu le télétravail aller de pair avec une surveillance un peu trop poussée ? Avec le premier confinement, en mars 2020, cette organisation du travail à distance s’est imposée de force aux employeurs. Un choc culturel dans un pays qui comptait 7 % de salariés en télétravail en 2017, selon les estimations du service des statistiques du ministère du travail. Les entreprises ont longtemps freiné des quatre fers à l’idée de transposer le bureau à la maison. En novembre 2021, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, rappelait l’image de « glande » qui lui était rattachée. « Le télétravail a été source de perturbation pour beaucoup de manageurs, confirme Florent Frontela, directeur capital humain chez Deloitte. Ne plus avoir les collaborateurs sous les yeux, ça les inquiète. »

A en croire une étude de Vanson Bourne pour l’éditeur de logiciels VMware parue en 2021, 63 % des entreprises françaises prévoient ou ont déjà adopté des outils visant à renforcer leur supervision. Selon Régis Chatellier, chargé d’études innovation et prospectives à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), certains employeurs ont pu être tentés de franchir la ligne jaune : « Dès le premier confinement, on avait eu pas mal d’appels qui laissaient craindre qu’il pourrait y avoir des tentatives de surveiller plus que nécessaire des personnes en télétravail. »

Chez IBM, Yannick Edouard, le délégué syndical central CFE-CGC, relate quelques excès de zèle de la part de certains manageurs : « Au tout début du confinement, quelques-uns organisaient une visioconférence en début de matinée et demandaient aux salariés de rester connectés le reste de la journée. » Cette pratique a été marginale, relativise le délégué syndical, et la direction y a très vite mis fin.