Pourquoi refuser une offre en télétravail salarié ?

Leur talent, leur expérience ou leurs diplômes séduisent des employeurs prêts à leur faire un pont d’or. Pourtant ils refusent le poste. Portraits de ces candidats qui savent ce qu’ils veulent… et ce qu’ils ne veulent pas !

Sébastien, juriste environnemental

A 34 ans, Sébastien, juriste spécialisé en droit de l’environnement chez un grand acteur du secteur de l’énergie, aligne un CV impeccable : double master en droit international et droit de l’environnement, et huit années d’expérience au sein de directions juridiques. Surtout, il a un sens bien ancré de l’indépendance :

«Dans mon domaine, très technique, on me laisse en général une marge de manœuvre appréciable. Peu de personnes maîtrisent vraiment ce que je fais et on me fait confiance.»

Lorsqu’un cabinet de recrutement vient discrètement le solliciter avec une belle proposition et de bonnes perspectives d’évolution à deux ans dans une entreprise concurrente, Sébastien lui prête quand même une oreille attentive… Tenté par le poste, assorti d’un salaire à la hauteur de ses espérances, il freine des quatre fers en découvrant ce qui l’attend.

«Je devais intégrer une équipe de six personnes qui faisaient quasiment la même chose que moi, avec tout un tas de procédures de reporting quotidien pour rendre compte de l’activité. Personnellement, si je peux éviter d’avoir quelqu’un sur mon dos en permanence, je préfère ! Peu importe la carotte… J’ai lâché l’affaire au bout de quatre entretiens avec la RH et le directeur juridique, qui m’avait pourtant fait une offre ferme. Le feeling était plutôt bon, mais l’organisation de l’entreprise était vraiment trop lourde à mon goût. J’ai du mal avec le flicage !»

Liberté, liberté chérie… Un refus d’autant plus facile que Sébastien est déjà au chaud !

Sébastien aurait pu aussi créer une structure pour devenir télétravailleur indépendant.

Manon, DRH

DRH au sein d’un groupe international, Manon aspire à un meilleur équilibre vie pro-vie perso. Membre du codir de son entreprise, travaillant jusqu’à soixante heures par semaine, soir, week-end et jours fériés inclus, la jeune maman fatigue. Et souhaite voir grandir son petit garçon de 3 ans.

«Quand je l’ai inscrit à l’école, ça a été un choc psychologique : je me suis rendu compte que je n’avais rien vu passer !»

Pour mettre fin à ce cercle infernal, elle fait circuler son CV et reçoit très vite des sollicitations pour des postes à forte responsabilité.

«J’ai prévenu les cabinets de recrutement que j’étais prête à revoir à la baisse mon salaire pour retrouver un équilibre de vie.»

Un chasseur de têtes la dirige vers une entreprise d’IT, an affirmant que celle-ci a signé une charte de télétravail permettant à ses salariés de rester à domicile deux jours par semaine. Elle rencontre son futur boss à la RH après deux entretiens avec le cabinet de recrutement et le talent manager du groupe. «Il m’a fait tout un speech sur l’exemplarité des membres du codir de l’entreprise… et sur les RH qui doivent absolument rester sur site.» Pas question à son poste de bénéficier du moindre télétravail !

«Il était de la vieille école, pas flexible du tout. Il avait masqué cette contrainte jusqu’au bout, pensant réussir à me vendre le poste malgré tout.»

A l’issue de l’entretien, le DRH lui fait une proposition. Que Manon décline :

«Je n’avais aucune envie de me retrouver coincée dans une nouvelle mission qui ne m’apporte pas plus d’équilibre. La pandémie a profondément changé notre rapport au travail. On n’est plus corvéable à merci et on n’envisage plus des postes où il n’y a aucune flexibilité. Les entreprises doivent s’adapter.»

Son souhait ? Trouver un employeur qui lui offre enfin le droit à la déconnexion, soir, week-end et pendant ses congés, et bénéficier du télétravail pour aller chercher son fils à l’école. Et le voir grandir.

Manon aurait pu suivre une formation pour développer son activité en télétravail.

Augustin, étudiant en dernière année à HEC

«Je me projette assez mal dans le monde de l’entreprise.»

Dès 2018 et sa première année à HEC, Augustin rejoint les rangs de l’association écologiste de l’école. De quoi se forger «quelques convictions et principes en matière d’environnement». Depuis, le jeune homme multiplie les engagements : association de désobéissance civile, Conseil national pour la résilience alimentaire, Génération Ecologie…

Aujourd’hui étudiant en dernière année de majeure à Polytechnique et HEC (dans le jargon, X-HEC data science for business), il suit avec intérêt tous les sites de recrutement orientés environnement. Mais il avoue avoir du mal à imaginer où il se retrouvera l’an prochain, pour son entrée dans la vie active… Jusqu’à présent, l’étudiant confie avoir multiplié les déceptions lors de ses stages.

«Des expériences ennuyeuses qui ont mis à mal ma vision du monde du travail. L’ennui, c’est assez destructeur !»

Son vœu ? Trouver une organisation qui se positionne sincèrement sur la question de l’environnement. «J’ai envie de me rendre utile.» Et surtout pas question d’accepter des missions «bullshit» ou du greenwashing. Lorsqu’une entreprise le contacte, Augustin entre en mode vigilance. Une visite sur le site de l’employeur lui suffit en général pour cerner «assez rapidement son degré d’engagement vertueux», estime-t-il.

Son choix se tourne vers le monde associatif ou coopératif ou de jeunes pousses engagées. Tout en restant lucide sur leurs travers : «L’univers des start-up a un côté hypocrite, on a tendance à afficher tous les postes comme cool alors que ce n’est pas forcément le cas.» Autres desiderata de ce futur candidat solidement capé :

«Une culture d’entreprise saine avec, au premier rang, de la bienveillance et de la flexibilité. Idéalement je voudrais un job en 4/5 pour mener d’autres projets en parallèle.»

A bon entendeur !

Augustin pourrait aussi consulter les sites Internet proposant du télétravail.

Julie Kasinski, responsable marketing

Julie Kasinski aime les challenges professionnels. Alors qu’elle travaille dans le marketing pour un site d’achats en ligne basé à Berlin, elle se lance dans la recherche d’un nouveau job. Son réseau lui recommande l’offre d’emploi d’une entreprise. Curieuse, elle fonce. Dès le premier entretien – un appel vidéo – elle se retrouve… seule.

«Le recruteur arrive avec quinze minutes de retard. Sans un mot d’excuse.»

Pire, il a l’air complètement ailleurs. Julie pose des questions auxquelles il répond de manière floue. «Oui oui, la hiérarchie est très horizontale chez nous», dit-il. Julie fouine un peu :

«En réalité, il y avait plein d’étapes de validation et pas la moindre autonomie. Dès ce premier entretien, j’ai eu l’impression qu’ils essayaient de se rendre cool, en me racontant que j’aurais énormément de liberté, mais que la réalité ne suivait pas.»

À l’étape suivante, elle doit préparer un cas d’étude et l’analyser avec une deuxième personne. Celle-ci se connecte… avec vingt minutes de retard. «On aurait dit que c’était une corvée pour elle ! Elle a expédié l’entretien.» Julie s’étonne qu’on la rappelle pour la dernière étape. Cette fois, c’est un dirigeant de la boîte qui lui assène «une avalanche de termes tendance» et affirme «qu’on est un peu une famille ici». «J’avais l’impression d’être dans un sketch», sourit-elle.

Ce dirigeant lui promet monts et merveilles : salaire attractif, missions passionnantes… Julie dit stop :

«J’ai déjà donné dans la culture toxique. Si dès les entretiens, les gens se contredisent ou donnent l’impression d’avoir mieux à faire, c’est très mauvais signe.»

Aujourd’hui, elle travaille à Amsterdam pour une boîte de réservation en ligne dans le tourisme. Et, quand elle ne recrute pas elle-même, elle forme son équipe aux techniques d’entretien :

«J’utilise cet exemple fréquemment, pour rappeler qu’un candidat peut toujours refuser une offre. L’entreprise a le devoir d’être claire et sérieuse dès les premiers contacts !»

Julie peut également faire un bilan de compétences.

Louis, journaliste

En milieu d’année, Louis, journaliste, déménage de Paris à Lyon et se lance à la recherche d’un nouvel emploi. Sur LinkedIn, il repère l’annonce d’une chaîne de télévision locale pour un poste de desk, c’est-à-dire pour visionner et éditer des vidéos d’agences, en horaires décalés de 16 heures à minuit. «Déjà, ça aurait dû se répercuter sur la fiche de paye», relève-t-il. Dès le lendemain de sa candidature, on le rappelle.

«Je sens qu’ils sont en galère, pressés de recruter, raconte Louis. Mais surtout, je me rends compte que le poste équivaut plutôt à celui d’un chef d’édition qu’à un job de journaliste. Bref, c’est un poste à responsabilité.»

Alors quand la question du salaire arrive sur la table, Louis répond tout net que le montant proposé n’est pas à la hauteur des missions exigées. L’annonce réapparaît quelques jours plus tard. La chaîne pourvoira finalement le poste avec une journaliste stagiaire, tout juste sortie d’école. Quant à Louis, il cherche toujours un poste qui lui convienne. Mais sa fermeté en entretien ne l’a pas desservi : la chaîne lui a proposé des missions ponctuelles de journaliste reporter d’images.

«En travaillant vingt jours par mois à la pige, je suis mieux payé que si j’avais accepté le poste fixe, c’est fou !»

Diplômée cette année, à 23 ans, d’un master d’économie à Sciences-Po Sidonie Commarmond, membre du collectif Pour un réveil écologique, travaille pour une société d’étude britannique sur la transition écologique. Elle est aussi membre active du collectif Pour un réveil écologique, qui rassemble étudiants et jeunes professionnels qui placent la transition écologique au cœur de leur projet de société et de leur future carrière.

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