France : de moins en moins d’offres d’emploi en télétravail

La part des emplois proposant de télétravailler est en chute libre. Le signe que les employeurs français sont moins flexibles qu’il y a quelques mois.

Le télétravail s’était développé depuis la Covid

Selon les derniers chiffres publiés par la Dares, le service statistique du ministère du Travail, 4 070 accords d’entreprise ont été signés sur ce sujet, contre 309 en 2017.

4 070 accords d’entreprise portant sur le télétravail ont été signés en 2021, soit 10 fois plus qu’en 2017. Le déploiement du télétravail suscité par la crise entraîne
une diffusion de ce mode de travail à de nouveaux profils d’entreprise, comme les petites structures. Celles ayant des habitudes de négociation ancrées sont néanmoins largement majoritaires.

Accords et avenants signés sur le télétravail depuis 2017

Le contenu des accords est également marqué par la crise : plus de la moitié est à durée d’application déterminée; une même proportion traite de télétravail exceptionnel.

Le télétravail régulier avec une formule de deux jours par semaine domine.
La mise à disposition d’équipements, comme un ordinateur portable, est traitée par 8 accords sur 10 et l’indemnisation des frais imputables au télétravail par moins de la moitié.

Les rappels au droit à la déconnexion et aux obligations de santé et sécurité vis-à-vis des salariés sont fréquents mais peu d’accords mettent en place des dispositifs de prévention spécifiques au télétravail.

Le marché du télétravail salarié baisse

Pendant les premiers mois de la pandémie de Covid-19, le groupe de presse qui emploie Mathilde* a fermé ses bureaux. Mais après avoir goûté aux joies de la flexibilité, cette chargée RH et ses collègues ont dû se faire une raison. La direction refusant de renégocier les accords de télétravail déjà existants, ce serait une journée à domicile par semaine, pas plus. “Cela n’est pas passé du tout, se désespère-t-elle. On a connu une vague de démissions sans précédent. Nous sommes dans un groupe familial vieillissant, qui ne saisit absolument pas les enjeux derrière le télétravail.”

Les employeurs français seraient-ils revenus à leurs vieilles habitudes ?

Les chiffres exclusifs publiés aujourd’hui par LinkedIn montrent un net recul des emplois offrant la possibilité de télétravailler.

En avril dernier, 9,8% des offres d’emploi publiées sur le réseau évoquaient la possibilité de faire du télétravail. Mais cette part n’a fait que diminuer depuis. Ainsi, en octobre, seulement 6% des annonces étaient concernées. Preuve que le travail à distance est de moins en moins ancré dans les habitudes des employeurs français.

Evolution de la part d'offres d'emploi proposant du télétravail

“C’est quand le télétravail est réellement, officiellement, instauré dans l’entreprise que cela se voit sur les offres d’emploi”

explique Yann-Maël LARHER Ph.D, avocat spécialiste du numérique. Les recruteurs savent que cela attire les candidats, mais ne le précisent que s’ils sont certains de pouvoir se montrer réellement flexibles une fois le candidat embauché.”

Les managers seuls à décider

Pour mieux comprendre cette tendance, LinkedIn Actualités a lancé un appel aux professionnels des ressources humaines. Nous avons reçu plus d’une centaine de réponses. Il en ressort que des accords collectifs prévoyant deux ou trois jours de télétravail par semaine ont été signés chez bon nombre d’employeurs. Les exemples sont nombreux dans les grands groupes, les entreprises de la technologie, ainsi que dans les organisations publiques. Voici des témoignages chez Auchan, Suez, dans une startup, au Conseil département des Hauts-de-Seine, ou encore à la CPAM. Une organisation hybride, entre domicile et bureau, que semblent apprécier les membres de LinkedIn qui ont partagé leur expérience. Cela confirme cette étude de la Dares publiée mercredi dernier, qui démontre que le nombre d’accords d’entreprises concernant le télétravail a été multiplié par 10 entre 2017 et 2021.

Mais beaucoup de témoignages, reçus notamment par message privé, dénoncent un rétropédalage des employeurs sur la question du télétravail depuis quelques mois. Pour ces professionnels, la possibilité de télétravailler n’est pas du tout garantie. “Les services, et donc les managers, sont désormais les seuls à décider d’accorder tout ou partie des trois jours de télétravail hebdomadaires permis à l’échelle de l’entreprise”, confie le responsable paie d’un centre de lutte contre le cancer. Virginie Phulpin, chargée de projet dans la santé, explique dans un commentaire que c’est son supérieur qui est libre d’accepter ou non une journée à distance par semaine. En privé, une responsable de comptes dans un groupe d’édition professionnelle raconte être passée de trois  à deux jours de télétravail hebdomadaires, “pour des raisons de contrôle, à cause de l’inactivité de certains collaborateurs”.

Des rappels des dirigeants

Du côté des cabinets de conseil et de recrutement, qui travaillent avec de multiples entreprises, c’est le même constat. Alors que les candidats repérés par Hugues Prieur, directeur d’un cabinet RH dans le Loiret, demandent systématiquement s’il est possible de faire du distanciel, les employeurs avec qui il traite répondent souvent par la négativePour Audrey Carpentier, consultante RH indépendante en Normandie qui collabore notamment avec des PME, “dans les différentes entreprises que j’ai suivies, il est resté en moyenne une journée de télétravail par semaine, rarement deux”. Quant à Carole, directrice administrative dans une entreprise de services du numérique, elle constate que “le télétravail recule chez nos clients, demandant une présence plus prononcée”.

Pour beaucoup d’employeurs cités par nos membres, télétravail rime encore avec désengagement, voire inactivité. “Les salariés qui ont des velléités de télétravail intensif et de “full remote” ne sont pas bien vus chez nous car jugés peu disposés au travail d’équipe”, témoigne un responsable RH chez un fabricant de pulvérisateurs de peinture. Les dirigeants ont donc à cœur de remettre leurs troupes dans le droit chemin. “Notre PDG a poussé pour un retour au bureau du lundi au vendredi, raconte une responsable RH d’un géant mondial de la bière. Le message officiel est que dans notre culture et nos valeurs, nous travaillons mieux quand nous sommes ensemble.” Dans un groupe bien connu de construction, les réunions démarrent systématiquement par un rappel des dirigeants. “On nous répète que le présentiel permet plus d’échanges et que le télétravail doit rester une exception”, relate une salariée, qui n’ose pas demander plus d’un jour par semaine à distance.

La France à la traîne

Une réticence à lâcher la bride aux salariés, particulièrement marquée dans l’Hexagone. Avec ses 6% d’offres d’emploi proposant de télétravailler, la France se situe en 9e position sur les 12 pays étudiés dans notre étude. Loin derrière l’Espagne (18,4% des offres) ou l’Allemagne (9,4%). En revanche, tous les pays suivent peu ou prou la même courbe, avec un pic du télétravail au printemps 2022 puis une redescente. Un phénomène décrypté par l’entrepreneur Cyril de Sousa Cardoso, joint par LinkedIn Actualités. “En plein confinement, l’idée que le monde de demain pourrait être 100% en télétravail a émergé très rapidement, analyse-t-il. Mais la réalité opérationnelle a montré que l’interaction en face-à-face était nécessaire à la performance collective et à l’épanouissement professionnel. Ce qui se passe actuellement n’est pas un recul du télétravail, mais plutôt l’atteinte d’un point d’équilibre pour un travail hybride de bon sens qui contente les salariés, mais aussi les entreprises et les managers.”

Reste à savoir si, après la crise sanitaire, d’autres événements viendront bouleverser les certitudes des employeurs français. “En cette période trouble non plus sanitaire, mais économique, reculer serait un contresens”, anticipe Cendrine Maillard, directrice du développement RH chez Système U. D’ailleurs, le télétravail des agents de la fonction publique est l’un des piliers du plan de sobriété énergétique du gouvernement, présenté le 6 octobre dernier. L’idée? Demander aux agents de rester chez eux afin de réduire les coûts de chauffage des bâtiments et la consommation de carburant. Un bénéfice à la fois économique et écologique, à l’heure où les Etats cherchent des solutions pour réduire leur empreinte carbone.

Les critères d’éligibilité

Les critères d’éligibilité à l’exercice du télétravail font partie des rubriques systématiquement présentes dans les accords. Ils peuvent être à caractère technique, liés à la nature du poste ou au contrat de travail.

Les conditions techniques ou liées au poste occupé sont similaires d’un accord à l’autre. Il est demandé au salarié de disposer d’un espace calme et isolé sur son lieu de télétravail ; les installations électriques doivent être aux normes et le débit internet suffisant. La compatibilité entre le poste occupé et le télétravail porte essentiellement sur le fait que tout ou partie du travail soit réalisé à partir de supports informatiques et sur la capacité d’autonomie dont dispose le salarié dans la réalisation de ses tâches. Une compatibilité avec le travail en équipe peut également être requise.

Les critères se rapportant aux caractéristiques du contrat de travail varient davantage suivant les accords de télétravail. L’ancienneté dans l’entreprise est un critère récurrent. Elle peut aller de « pas de conditions d’ancienneté » à un minimum de 24 mois. Le seuil est en moyenne de 3 mois. La spécifica- tion de la quotité (temps plein ou temps partiel) est souvent abordée, avec certains accords réservant le télétravail aux seuls salariés à temps plein et d’autres l’accordant aussi bien aux temps pleins qu’aux temps partiels. Lorsque le télétravail est accessible aux salariés à temps partiel, il est cependant associé à un minimum de quotité de travail (généralement 80 % ou plus) et à des règles de proratisation du nombre de journées télétravaillables. Des spécifications sur le type de contrat apparaissent également, distinguant durée indéterminée (CDI) et durée déterminée. La plupart des accords rendent le télétravail accessible aux seules personnes en CDI.

Des divergences dans la prise en charge des frais liés

La mise à disposition d’équipements est traitée dans 81 % des textes de l’échantillon. Il s’agit principalement pour les entreprises de fournir un ordinateur portable aux salariés. Toutefois, une vingtaine d’accords étendent la palette des équipements avec, par exemple, un second écran, une sou- ris et un clavier d’ordinateur, tandis que d’autres prévoient la mise à disposition de mobilier de bureau. Les accords abordant l’octroi d’équipements supplémentaires sont en majorité associés à des formules de télétravail de 3 jours ou plus par semaine.

La prise en charge des frais liés à l’exercice du télétravail est, quant à elle, assez hétérogène. La possibilité de déroger aux stipulations de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 20204 par accord d’entreprise permet une multi- plicité de situations. Un peu moins de la moitié des accords et avenants de l’échantillon (soit 71) prévoient une indemnisation des frais occasionnés par le télétravail. Il s’agit le plus souvent des indemnisations journalières de 2,50 euros ou mensuelles de 10 euros. Les montants peuvent cependant sensiblement varier : la fourchette d’indemnisation mensuelle est comprise entre 8 et 80 euros. Parmi les accords ne prévoyant pas de prise en charge, certains justifient cette position en rappelant que le télétravail est un choix du salarié.

Quelle corrélation avec l’absentéisme ?

  • Télétravail : Recul de 4 points entre avril et octobre 2022.
  • De façon concomitante, l’absentéisme a progressé de 4 points également en 2022, selon Malakoff Humanis.

Est-ce une coïncidence ?

Avec un nombre de salariés arrêtés supérieur à 40% chaque année depuis 2016 , l’absentéisme maladie reste l’un des problèmes majeurs de l’entreprise moderne. Surreprésentation des jeunes, des femmes, des managers, hausse des arrêts pour motif psychologique, augmentation des coupures longues et multiples font partie des autres enseignements saillants du Baromètre Absentéisme 2022 de Malakoff Humanis sorti ce 8 septembre.

Comment expliquer ces résultats ? Sont-ils révélateurs des nouvelles attentes des collaborateurs et d’une transformation profonde du monde du travail ? Quelles solutions envisager pour réduire l’absentéisme professionnel ?
Anne-Sophie Godon-Rensonnet, Directrice des services chez Malakoff Humanis et Adrien Chignard, psychologue du travail et fondateur du cabinet de conseil « Sens & Cohérence » nous livrent leurs analyses au cours d’une interview croisée conjuguant mises en garde et solutions.

« Les phénomènes de désengagement ou de « quiet quitting » ne sont que la réponse de salariés à certaines entreprises qui ont trop valorisé l’affectif au détriment du contractuel et les émotions au détriment des rétributions. »

La pandémie a exacerbé 2 éléments d’explication

  • les difficultés de prise en charge du service public français dédié à la santé mentale ;
  • une culture de la prévention insuffisante même si les entreprises misent de plus en plus sur cet élément afin de tirer leur épingle du jeu en matière de recrutement et d’accroissement de la performance. La seule vocation d’une entreprise est de produire de la valeur. Pour y parvenir, il faut des salariés présents et en bonne santé.

4 grandes actions semblent indispensables

  • mener une analyse fine des données de l’absentéisme. Aujourd’hui, seule 1 entreprise sur 2, en moyenne, s’y attelle ;
  • établir un diagnostic approfondi via le rapprochement de ces datas avec d’autres ou l’interrogation des salariés ;
  • mettre en place un plan d’actions adapté à chaque motif d’absentéisme afin de s’occuper des salariés déjà en arrêt maladie et d’éviter que d’autres ne le soient ;
  • accompagner les managers et les former afin de les aider à faire face aux nouvelles exigences de leur fonction.

Témoignages

Benoît G – Copywriter & Webmarketeur

Cette “tendance” à la reculade du télétravail de la part de certains employeurs en France est très inquiétante.

Et pas seulement pour cause de “changement climatique” et d’absolue nécessité de réduire les déplacements très souvent “à pétrole” (ce qui devrait déjà primer !).

Les arguments avancés sur une prétendue inactivité et un désengagement de collaborateurs en télétravail sont un très mauvais signal de confiance envoyés aux salariés de ces entreprises.

Infantilisant au possible et à mettre direct à la poubelle.

Olivier N – Communicant et formateur

Il est très peu aisé de travailler à la maison régulièrement.

Le besoin de changer de lieu préserve l’équilibre mental.

On voit combien les streamers ont besoin de se retrouver car, solitaires devant Twitch avec une communauté virtuelle, on peut vite manquer de contacts réels.

La vie sur site comporte aussi des aléas, des risques de disputes mais, en étant au même endroit, au même moment, on peut corriger en temps réel une démarche et un propos.

Jean-Christophe R – Recruteur

Télétravail, c’est assez clivant comme sujet, je pense qu’il faut avoir vécu les 2 cotés (employeur et employé) pour avoir une vision d’ensemble. Au delà du “tous fainéants” et “c’est du flicage”.

Lorsque vous faites un chèque enfin de mois pour des salaires et que certains font encore plus semblant que ce qu’il le faisait au bureau, ça doit tendre un peu et donner envie de revenir en arrière.

Parallèlement, les personnes qui bossent mieux et produisent plus en améliorant leur qualité de vie, ont du mal à comprendre un rétropédalage
Sensible comme sujet 😊

Sébastien P –

C’était prévisible. Malheureusement les dirigeants et managers d’entreprises principalement de “culture” franco-francaise sont loin d’être prêts à franchir définitivement le pas, si une situation externe ne les y contraint pas comme en période de Covid.

Malgré les études et l’expérimentation forcée d’il y a quelques mois montrant que la performance est au RDV lorsque la fonction du salarié et les moyens technologiques le permettent, en France la confiance des décideurs envers les équipes manque cruellement. Sans parler du rôle et de l’utilité de nombreux N+1 qui seraient à revoir si leurs équipes étaient à distance, restent aussi prédominantes les mentalités, un peu clichées mais malheureusement trop souvent réelles, du type “il n’y a que sur place que le travail est fait”, “un N+1 doit fliquer son équipe”, “en tant que manager je dois me montrer et faire acte de présence auprès de la direction”…

Le télétravail n’est pas nouveau. De nombreuses sociétés (principalement de grands groupes) ont compris ce qu’elles pouvaient y gagner et l’ont adopté depuis longtemps. Il est dommage pour les autres qu’elles n’aient pas la maturité pour progresser. Le télétravail n’est finalement qu’un des freins à la productivité parmis d’autres.

Marc P. – Formateur

Triste de lire que, pour certains managers, télétravail rime encore avec “glandouille”… Comme si la présence dans les locaux assurait une plus grande productivité !

Enlevez les discussions à n’en plus finir devant la machine à café, la pause-déjeuner qui s’éternise et les pauses cigarette(s) pour les fumeurs, et vous obtiendrez un temps de travail effectif parfois bien inférieur à celui réalisé au domicile 😉.

Avoir confiance en son équipe est un des gages de la réussite collective.

Rappelons néanmoins que cela n’empêche pas le contrôle et le suivi, dans l’intérêt de tous.

Julien V – Développeur JavaScript

Dans les métiers de l’IT et en particulier de la programmation, l’atteinte du maximum de productivité et de qualité requiert une concentration maximale et ininterrompue (que l’on pourrait presque assimilier à un état de “transe”) qui est beaucoup moins facilement atteignable en présentiel.

Les managers & employeurs qui n’ont pas compris cela vont se priver des meilleurs talents. Tant pis pour eux, la sélection naturelle fera son oeuvre…

Sans même parler des discriminations que cela provoque en terme d’accès à l’emploi entre ceux qui habitent en campagne ou dans des “villes moyennes” et ceux qui habitent dans les “grande villes” (38% de la population) , allant à l’encontre même des fondements de la république et du code du travail.

Nathalie H – Coach d’équipe et conférencière

On laisse le choix au manager de valider ou pas les jours de télétravail. Mais on ne lui donne pas les outils et connaissance pour assurer l’engagement des collaborateur et et la dynamique collective dans ce cadre. En effet, cela demande des actions et une préparation différentes de celles pour gérer des équipes 100% en présentiel.

A distance ne veut pas dire distant! Et, peut être que le besoin des managers et collaborateurs n’est pas d’être plus en mode présentiel mais d’avoir plus de relations HUMAINES.

D’ailleurs, on constate que ce n’est pas car on revient sur site que l’engagement est plus fort. Il est même remplacé par la peur de demander un jour supplémentaire de télétravail et par la frustration de devoir ENCORE compromettre la vie personnelle pour satisfaire une exigence NON FONDEE de la partie Professionnelle.

Si au niveau des dirigeants et CEO on prenait conscience du besoin d’accompagner les managers avec des formations, du coaching, et le budget correspondant pour développer la dynamique collaborative à distance, les résultats pour leur business pourraient les surprendre.

Alexandra H – Assistante polyvalente et “couteau Suisse”

Effectivement, les managers manquant souvent de formation (d’ailleurs, évoque t-on seulement le télétravail dans les écoles qui les forment ?) et d’accompagnement. On part souvent du principe qu’ils ont la science infuse en matière de gestion d’équipe mais le monde évolue et ils peuvent être pris au dépourvu aussi et ne pas savoir par quel bout prendre certaines situations qu’ils n’avaient jamais rencontrées auparavant.

L’engagement collaborateur(trice)s repose sur plusieurs éléments et pas un seul (chaque personne ayant des objectifs et besoins différents). Certain(e)s salarié(e)s en effet n’osent plus demander de télétravail (comme si c’était redevenu un truc de geek que seules les start-up pratiquent 😂). Le problème c’est que moins on le demandera, moins on en fera et plus on retournera vers le 100% présentiel.

Enfin, beaucoup de dirigeant(e)s, mais aussi de salarié(e)s, jugent l’intérêt du télétravail à l’aune d’une situation qui n’était ni maîtrisée, ni même préparée.

C’est sûr que bosser avec un vieil ordi, une connexion internet pourrie, sur la table de sa cuisine, avec des enfants qui jouent à proximité, ça ne met pas dans de bonnes conditions.

Un cheval de Troie du libéralisme dans les foyers ?

Didier Gladieu partage son analyse :

Certains, ici, ont bien compris le profit qu’ils pouvaient en tirer et proposent formations, coaching, conseils et prêt à déployer aux entreprises. Il a de nombreux apôtres et ses évêques. Quelques rares déviants osent trouver des inconvénients, des risques, des dangers. J’en suis. Vous l’aurez deviné, il s’agit du télétravail.

Le sujet est hyper médiatique, comme le prouve l’interview de Julia de Funès par le Huffington Post. La philosophe, présentée comme “spécialiste du monde du travail”, y affirme qu’ “avec le télétravail, le travail a perdu son hégémonie”. J’attends avec gourmandise sa démonstration car, une fois n’est pas coutume, je ne partage pas son opinion. Pourquoi ?

Regard dans le rétro : techno et forfait jour

Le télétravail était pratiqué avant que le législateur s’en soucie, par la diffusion des ordinateurs personnels, le phénomène gagnant en ampleur avec les outils de communication portables (pc, tablettes, smartphones).

En effet, sous la pression du management par objectifs et de l’individualisation des rapports salariaux, déclinaisons opérationnelle et gestionnaire de la “corporate gouvernance”, d’abord les cadres (encadrants ou pas), puis plus largement dans l’échelle hiérarchique, des salariés, de plus en plus nombreux, ont emporté du travail chez eux en plus de leur journée au bureau, au labo, … le soir, le week-end, en vacances et même en arrêt maladie. L’aspect purement technologique était facilité pour les cadres par une dimension juridique : le forfait annuel en jours.

Ce dernier, apparu début 2000 était vendu comme devant faciliter la vie des cadres, reconnaître leur autonomie (le plus souvent illusoire compte tenu des processus de travail, de son intensification) leur responsabilité individuelle (dans les cadre de la subordination et sans transfert de pourvoir associé). Le tout au nom de la “liberté” de travailler (mdr). L’objectif, pour les employeurs, était (est) surtout et d’abord de ne plus comptabiliser la masse des heures supplémentaires effectuées par les cadres, donc ne plus les payer (la notion de forfait intégrant les heures sup est un leurre) et de s’exonérer des limites légales et conventionnelles du temps de travail. Il s’est révélé être un outil de servitude accrue. D’autant que, promu par les employeurs, qui veulent l’étendre aux nons cadres -pas fous-, comme les libérant du “carcan” has been des horaires (même variables, même flexibles), il a été intériorisé par les cadres.

Ainsi, quantités d’heures de travail disparaissaient “officiellement”, particulièrement celles effectuées au domicile. Travail au noir ? Où ? Quelles preuves ?

Télétravail : objet magique, bataille culturelle

Je passe sur les évolutions de la loi qui a institué le télétravail. Ainsi que sur l’Accord National Interprofessionnel. Depuis, de nombreux accords de groupe, d’entreprise voire d’établissement ont été signés.

Ce faisant, on légalisait des pratiques déjà existantes pour certains bien qu’illégales, on ouvrait à d’autres populations, on aménageait et encadrait.

Mais aussi, on “faisait entrer le loup dans la bergerie”, dans un plus grand nombre de foyers.

Le télétravail est une forme d’organisation du travail. A ce titre, il doit être analysé dans le contexte économique et sociale dans lequel il s’insère : hyper compétition entre entreprises, chômage de masse, extension de la précarité, peur du déclassement social.

Dans ce contexte, plus qu’avant, la distinction spatiale, comptable et juridique entre “temps de travail”, “lieu de travail” et hors ceux-ci, protège le salarié, le travailleur, de l’emprise de l’emploi. La frontière qui existe entre vie privée et familiale d’avec la vie professionnelle, doit être préservée, la sphère personnelle étanche à la sphère économique.

Le télétravail fait sauter cette frontière.

La prégnance des objectifs et des contraintes professionnelles, renforcée par la culture managériale dominante sinon hégémonique, fait ainsi une entrée légale, officielle dans les foyers. “L’emploi” s’installe dans le salon ou la chambre (combien ont les moyens d’avoir un bureau ?). Le fameux et fumeux “équilibre vie professionnelle/vie privée (familiale, sociale…) est certes affirmé. Sans être jamais sérieusement démontré.

Bien sûr, le télétravail procure quelques avantages individuels non négligeables (essentiellement par la réduction des temps et coûts de transport. Peut-être aussi par l’échappatoire qu’il offre aux mauvaises conditions de travail), et collectifs (moins de pollution due aux transports). Mais je crains que, sur le plan culturel (philosophique ?), par le télétravail, le “travail”, et plus précisément “l’emploi”, ne fasse que renforcer son empreinte dans la société, dans les foyers et donc son hégémonie.

Mais le pire n’est jamais sûr.

Sources :